jeudi 2 juin 2016

Fourmilière

J'héberge une fourmilière dans mon oreille droite.
Ca a commencé un jour de vent allongé dans l'herbe.
Je me sentais vide de tout.
D'envie. De vie.
Une s'est approchée, ça m'a gratouillé, je l'ai chassée
Puis une autre et encore une autre dans un manège incessant que j'ai fini par l'accepter.
Alors que mon corps hébergeait un arbre fruitier à l'écorce gris brillant veiné de rouge. Un bel arbre aux cicatrices du dedans comme du dehors.
Cicatrices mal refermées, la greffe a été rejetée.
Elles nettoient minutieusement les restes moribonds de ce cerisier mal accueilli.
Merci petites fourmis de tout bien nettoyer et de laisser en partant la place aux cigales.

Excusons-les

J'ai vu une femme à demi-voûtée, pas si âgée, peiner à marcher.
Elle a pressé le pas devant moi en s'excusant machinalement, comme une ritournelle qui ponctue chacun de ses échanges au monde.
Elle traversait, je longeais.
Quand bien même j'aurais été pressé, elle ne me gênait pas.
Elle s'est excusée comme si elle l'avait fait sa vie entière.
S'excuser d'être là.
S'excuser de boîter, de ne pas aller assez vite
S'excuser d'être sur le chemin
Combien a-t-elle subi de reproches pour s'excuser comme ça ?
A force de se sentir coupable, en combien de morceaux s'est-elle coupée ?
Quelques mètres plus loin, aux frontons de quelques presses puis 20 mètres encore plus loin, sur les pieds de porte encombrant les trottoirs du rance océan de l'ouest presse du jour puis 10 mètres encore après sur les journaux gratuits des météos publicitaires se pavanaient les idolâtres morpions des maîtres de nos pensées.
Sans s'excuser.
Et même en rigolant, arrogants.
Et le midi dans les brasseries populaires attendant leur soupe métro bobo roploplo on parle des maîtres, et de leur morpions qui préparent le rôt de fous de bols, la tente à chères nos biles, ou les fesses t'y vas le deux dos vils, de cannes ou vivi nonon.
Et personne jamais ne parle de la femme à demi-voûtée qui s'excuse d'être née.

Damour et d'alcool

J'ai mangé avec 2 gitans.
Ils s'appellent Ricardo et Damour.
Damour ne vivait que d'eau fraîche. Ses yeux vitrifiés le confirmait.
D'eau fraîche qui fermentait malts et houblons et qu'on trouve en canettes aluminisées de 50 centilitres.
20 ans qu'il s'en nourrissait et n'écoutait comme unique avis médical que celui du boucher.
Il lui disait de ne surtout pas s'arrêter sinon c'était crises d'angoisses assurées et sensible comme il est, ça allait le faire canner.
Au fond on a le même problème d'alcool.
Y'en a un qui peut pas s'arrêter et l'autre qui peut pas commencer.

Satiété

J'ai surtout vu des ogres.
Des territoriens cent fois rassasiés plus pressés de signifier les bornes de leur propriété que celles de leur appétit.
Appétit de portails, de clôtures de frontières et de barbelés.
Voracité.
Que devient une société sans satiété ?
Des non mais EUX
Des nauséeux
Vos rats cités
Et les nôtres aussi
S'en vont défiler pour réclamer leur dose assassine de merveilleux
Appétit de carburant, de naphta et de poudre aux yeux
Du spectacle rassurant de la guerre en retransmission télévisée
Appétit de viande fraîche ou avariée
Vos races citées
sont priées d'ouvrir grand la gueule et de choisir : persil ou pomme ?
Enfin j'ai vu Zoé
Zoé dont l'accueil est délicieux. Est un délit pour les cieux qui font toit de tant et tant.
Zoé qui accueille gitans et réfugiés, clandestins ou randonneurs. Elle a l'âge en années qu'a l'année en semaines.
Elle brille de s'être fait interner de folie par sa famille.
Internée de force médicamentée parce qu'elle a osé questionné le confort de ces professionnels de gauche salariés des arts de la rue sous un toit permanent.
Parce qu'elle parle aux arbres et aux oiseaux.
Parce qu'elle comprend le larcin du voyageur qui ne comprend pas la propriété privée.
Elle est où la folie quand ceux qui la dicte voyagent dans des carcasses d'acier de plus d'une tonne pour se déplacer sur 3 kilomètres à des vitesses qu'aucun animal sur cette terre n'a jamais atteint, ni le martinet en piqué, ni le guépard en pointe, essouflé ?
Elle est où la folie quand pour ranger son armure d'acier il enduit la terre d'une gangue de fange irrespirable en se plaignant de n'avoir plus de terres à cultiver ?
Dorénavant je dirais aux enfants ou aux malentendants des téléphones administratifs Z comme Zoérro.
Et A comme Accueillant.

Se suivre comme son ombre

 Toujours.
Tel est le quotidien d'un voyage à 2 à vélo. 
Se suivre car l'on n'a qu'un tout pour deux entiers.
Pas la moitié l'un de l'autre
Chacun est tout mais chacun peut défaillir sans l'autre

Les grandes villes sont des respirations.
On s'autorise la séparation
Le point de chute commun est oasis
Le youth hostel, maison de retraite pour jeunes nous connecte
Intraconnection, interconnections, reconnections
Une langue commune, pas maternelle
des lieux communs, sempiternels
Comme un champ, comme une route tracée

Et parfois se sentir comme une vieille carcasse désossée tirant un chargement vide de sens.
A l'abri sous un toit pour ne pas filer droit dans le mur


Pulsations



Comment sonder la pulsation propre d'une ville quand on ne fait que la traverser á 17,63 kilometreures ?

Comment saisir les détails qui font ne pas ressembler ses habitants á ceux de la précédente ville de meme taille 200 km en amont ?
Comment faire pour sortir des clichés patrimoniaux des dépliants toutou-ristiques ?
La vie de cette jeune fille a-t-elle quelque chose á voir avec l'architecture baroque de ce palais du XIVe ?
Ou de ce vieil homme qui accuse pourtant un bon demi-siécle de plus ?
Comment ne pas voir en "La Ville" une franchise délocalisée d'une entreprise habitat-monde, ancrée sur des fondations qui ne lui ressemblent plus ?

Il me reste quelques villes á traverser, en espérant y percer ces furoncles questions avant qu'elles ne deviennent des mauvaises réponses